A celles qui osent : Loubna Ksibi, co-fondatrice de Meet my Mama

Avec sa startup Meet My Mama, Loubna Ksibi régale les entreprises de cuisines du monde grâce aux Mamas : des femmes en situation de fragilité, trop souvent invisibles, coachées et formées par la startup, et révélant ainsi leurs talents culinaires. La preuve qu’entreprenariat à succès peut aussi rimer avec impact et social.

Loubna, est-ce que tu peux nous raconter la genèse de Meet My Mama ?

J’ai 27 ans et j’ai cofondé Meet My Mama avec Donia Souad Amamra et Youssef Oudahman – il y a 2 ans. Nous voulions permettre à des femmes de vivre de leur passion pour la cuisine tout en valorisant les cultures et les cuisines du monde. Mais ces femmes avaient des freins et nous voulions les aider à les surmonter. On voyait aussi que de plus en plus de personnes autour de nous cherchaient à avoir accès à des cuisines faites maison et authentiques. Au début nous avons testé plusieurs solutions puis l’activité traiteur s’est imposé. C’est ce que le marché demandait le plus, c’est là ou les mamas réussissaient à gagner de l’argent le plus rapidement, et nous aussi ! Et c’était un modèle réplicable et scalable dans d’autres pays ou régions du monde.

Comment répondez-vous à un client qui souhaite passer par les services de traiteur de Meet My Mama ?

Notre rôle est de bien comprendre les besoins du client (celui-ci nous les transmet via notre formulaire en ligne sur site de Meet My Mama), ensuite on match ses besoins avec une ou des mamas. Aujourd’hui on a une trentaine de mamas actives et 200 mamas dans le réseau qu’on peut solliciter lorsqu’un client demande un voyage culinaire. Le client choisit son voyage culinaire comme une destination de vacances. Nous pouvons donc proposer tout type de cuisine : de srilankais à syrien, d’islandais à italien, tout est possible.

Comment recrutez-vous les mamas ? Ce sont maintenant elles qui postulent ! Mais à l’origine ce sont des structures comme Pôle Emploi ou des associations qui nous les envoyaient. Puis nous les rencontrons et voyons quels sont leurs objectifs, leurs rêves, qu’est-ce qu’elles ont vécu et on creuse sur leurs difficultés (besoins en formations notamment). On essaie de lever toutes les barrières. Au début on pensait que les formations en cuisine ou hygiène seraient les plus logiquement demandées, mais on s’est rendu compte qu’il y avait d’autres freins : manque de confiance en soi, parfois barrière de la langue ou illectronisme – fait de ne pas avoir accès aux outils numériques ou de ne pas savoir les utiliser.

Cela nous a poussé à créer une association, Empower My Mama qui a pour but l’empowerment de ces femmes, avec plusieurs entités : « Inspire my mama » pour les inspirer avant toute chose, pour leur donner confiance en elles, pour qu’elles puissent se dire « c’est possible je peux être chef, je peux y arriver ». Ensuite « la Mama academy » leur propose des formations adaptées à leurs besoins. Enfin « Help my mama » leur garantit un accompagnement individuel personnalisé.

Quel est le profil des mamas ?

Nous avons tout type de profil et c’est ce qui fait la richesse de Meet My Mama : nous avons des femmes qui n’ont jamais travaillé, n’ont jamais été à l’école, ne parlent pas français, mais aussi des retraitées ou des femmes très cultivées, avec des hauts postes dans le passé mais qui ont été freinées notamment par la maternité. Quand on dit le mot mama il ne faut pas juste imaginer la mama réfugiée, migrante. Nous ne voulions pas créer qu’une communauté de mamas réfugiées car cela les isolerait encore plus. Meet My Mama c’est aussi un début de carrière pour certaines, un pied à l’étrier, car nous voyons un énorme potentiel en elles et elles peuvent devenir les grandes cheffes de demain !

D’où te vient cet engagement auprès des femmes ?

Plus qu’un engagement auprès des femmes, j’ai toujours été frustrée par le fait d’entendre « ce n’est pas possible, tu ne peux pas le faire ». J’ai fait de la gym à haut niveau et on me disait depuis toute petite que je ne serais jamais championne, que je n’avais pas le physique, alors que je passais tous les tests. J’ai beaucoup travaillé, j’ai pris ma revanche, mais ça m’est resté. Dès qu’on met des freins à quelqu’un ou qu’on l’exclut, ça me révolte.

Et c’est la même chose avec ces femmes : on voit qu’elles ont du talent, elles sont passionnées, mais elles ne sont pas reconnues et elles n’ont pas accès à ces métiers, alors qu’elles peuvent apporter beaucoup de valeur. Et c’est aussi la raison pour laquelle le Ministère de l’emploi ou Pôle Emploi nous sollicitent aujourd’hui, car nous arrivons à toucher ces femmes et à les réactiver dans la sphère professionnelle.

As-tu vécu des échecs et déceptions ?

Je suis très optimiste et je passe vite à autre chose. Je parlerais plus de difficultés, notamment au début. Il a été très difficile de faire comprendre le projet et de montrer que nous étions crédibles sur ce sujet. Nous ne connaissions rien à la cuisine, nous ne venions pas du domaine de la restauration, il a donc fallu apprendre sur le tas. Nous sommes vraiment partis de zéro. C’était très physique, car nous avons fait tous les métiers : les courses avec les mamas, être commis, faire la plonge, être barman. Au final c’est le processus normal d’une startup : tester, apprendre, remodifier. C’est la vie d’entrepreneur. Rien n’est jamais parfait.

Quels seraient tes conseils pour quelqu’un qui veut se lancer dans l’entreprenariat social ?

Il ne faut pas se lancer si on n’a pas ce côté social, environnemental ou autre qui nous anime et nous tient à cœur. Il faut avoir une problématique précise à résoudre, trouver son « pourquoi » et le retravailler en permanence. Pour la première année de Meet My Mama nous avons énormément travaillé dessus notamment avec l’équipe de Ticket for change. Il faut comprendre ses bénéficiaires, utilisateurs ou clients. Pour Meet My Mama nous avons laissé les mamas nous proposer des solutions et nous expliquer leurs freins, et les clients leurs besoins. Et en fonction de leurs réponses nous avons travaillé notre proposition. Il faut donc réellement creuser le problème.

Est-ce que vous vous posez la question de faire une de levée de fonds ?

Nous sommes rentables aujourd’hui et en croissance, donc nous ne sommes pas obligés de passer par cette étape. Mais pour aller plus loin et plus vite, et surtout pour satisfaire le marché et les mamas – nous avons plus d’une centaine de mamas sur liste d’attente que nous ne pouvons pas encore faire travailler ainsi que de plus en plus de demandes de prestations – la levée de fonds est une possibilité à envisager.

Tu es aussi membre du Conseil National du Numérique, peux-tu nous en dire plus ?

C’est Mounir Mahjoubi, Secrétaire d’Etat au Numérique, rencontré lors d’un évènement qui m’a sollicité. Je suis passionnée par le numérique depuis toujours (ndlr : Loubna est diplômée de la business school de Telecom Paris et a notamment étudié en Californie) et j’ai réalisé rapidement qu’on pouvait utiliser les nouvelles technologies pour avoir de l’impact. Le numérique peut aider à résoudre des problèmes de société.

Le gouvernement nous sollicite ainsi pour avis consultatif sur des sujets liés au numérique. Je suis notamment impliquée sur les questions de diversité, d’insertion, d’illectronisme et d’entreprenariat au féminin, notamment la question du financement des entrepreneurs femmes. Sur ce dernier sujet nous allons d’ailleurs sortir une étude prochainement.

Le mot de la fin : L’entreprenariat social est-il à la mode ?

Je suis ravie de constater que de plus en plus de personnes veulent se lancer dans entrepreneuriat à impact, soit en tant que salarié ou entrepreneur. Nous avons récemment lancé un appel à candidatures pour intégrer Meet My Mama et nous avons été bluffés par le nombre et la qualité des candidatures, alors que nous sommes une petite structure (11 personnes à ce jour). Nos générations ont de plus en plus envie de sens et dans un futur proche la norme sera probablement que les entrepreneurs soient à impact.

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